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Didier Wagner

Pont de Conscience

« L'internat du lycée agricole, le programme des cours, n’étaient pas toujours légers et le besoin instinctif de rentrer à pied le samedi pour aller jusqu'au domicile parental me visitait souvent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien sûr, il y avait de nombreux kilomètres entre la banlieue de Nancy et le village que je rejoignais. J'aimais ces heures de marche où mon mental et mon corps semblaient décanter. Je m'émerveillais des scènes champêtres qui défilaient au gré des saisons, et il y avait aussi un air de pleine liberté dans ces instants.

Ce scenario se répéta donc souvent surtout lors des classes de première et terminale ; une bouffée de temps et d'espace hors des règles.

Il y eut un jour où cette proportion et cette propension prit un visage inattendu, un de ces Jours qui marquent une vie humaine.

 

Après le déjeuner à la cantine de ce samedi-là, je rentrais en coupant à travers la campagne ; je finirais sans doute en auto-stop une fois regagné l'axe routier.

Ce besoin de décanter m'était impératif et c'était donc un moment adéquat. Une bonne dizaine de kilomètres me séparait du foyer parental. J'appréciais ces instants, car je longeais les paysages au fil des saisons. La venue du printemps se révélait une véritable célébration pour moi et toute éclosion m'émerveillait parmi les champs, les plantes et les oiseaux.

Ce jour-là, comme d'autres fois, j'arpentais donc les chemins de terre entre pâturages et talus pour finalement traverser la Meurthe par le pont du chemin de fer et rejoindre la voie routière. Je me souviens des mélisses que je froissais au passage et des chants d'oiseaux dont la volupté m'enchantait. Ainsi, l'avancée tranquille, rêvant et digérant ma semaine à la fois, je marchais dans l'intimité de cette nature, dont résolument je me sentais si proche.

 

Je me revois monter le parapet du pont et passer sur les traverses de bois noirci avec leur odeur de goudron chaud.

Premier essoufflement, j'avais envie de baisser mon rythme. Les orpins offraient leur jaune floraison ; je fis donc une pause à mi-pont pour contempler les eaux qui filaient avec vigueur. Une fois de plus, la beauté crue parlait. Je respirais cet instant, appuyé sur le parapet, comme tant d'autres que j'avais su respirer avant lui.

 

Avant même que je n'eus le temps de développer une pensée, je me sentis être dilaté, élevé et tout sembla scintiller de toute part. Des microparticules infimes baignaient tout et dansaient dans l'air, dans l'eau et même la terre. J'eus l'impression profonde et heureuse de faire UN avec ce tout. Je ne sentais plus la présence de mon corps ni mes pieds sur terre ; mes poils se hérissaient doucement sur mes bras et je frémis de tout mon être. Aucune pensée ne pouvait circuler, comme si le Plein Vivant seul m'occupait. Je percevais à peine l'émotion créée dans et par l'ouverture, béante ; ma respiration demeura lente et curieusement aimante. J'étais profondément posé et à la fois transporté. Un moment passa ainsi, comme un abandon et une étreinte.

 

Soudain, derrière mon front, une pointe de vibration ouvrit un autre espace, qui s'élargit tel un petit écran intérieur. J'y vis danser d'abord des flammèches qui se rassemblèrent progressivement en flammes pour finir en assemblage de chiffres. Avec une clarté pointue, une date de feu bien nette apparut dans sa danse. Son empreinte se déposait dans ma substance.

Juste le temps de cette embrassade puissante et dans le papillonnement de mes yeux éblouis, j'eus la sensation d'être déposer, de redescendre « les pieds sur terre ». Tout était encore vibrant autour et mon corps, lui, en immobilité sereine, nourri sur tous ses plans.

 

Je respirai, aussi pour boire cette eau qui venait de se déverser subtilement en moi.

D'autres effleurements subtils m'avaient visité depuis mon enfance ; cette fois, je recevais un sacré coup de vent dans les voiles, ou plutôt un Vent sacré.

 

Quelques minutes d'émerveillement, de trouble et je résolus de me secouer, de m'avancer, non sans poser un dernier regard de tendre reconnaissance sur le lieu et cet espace, comme une bénédiction en retour de celle que je venais de recevoir.

 

La pensée logique reprit de plus belle, avec son lot de questionnements, d'anxiété et le jeu des estimations … gna gna gna : rendez-vous important, mariage, passage initiatique, transformation, autre situation essentielle ?? Là, les pensées fusèrent et le mental entama sa ronde. Si n'avait été marqué en moi l'étreinte d'Amour posé, peut-être me serais-je assis en tremblant ?!

 

Doublement besoin d'air ce jour-là...

 

Je déterminai donc de faire totalement le trajet à pied jusqu'aux HLM où logeaient mes parents. Ma mère m'interrogea sur l'heure d'arrivée plus tardive et, comme d'habitude, j'allai déposer silencieusement mon sac de linge à laver dans la salle de bain.

Que dire ; je ne savais quoi penser. Pourtant, je sentais l'incisive précision de cet Instant où enfin, je commençais à l'accepter, un signe des hauts mondes subtils (que je qualifiais à l'époque de divins) m'était donné. Serait-ce un début de réponse, de guidance suite à mes appels et mon espérance intimes ?

 

Dès lors, j'eus bien autre chose à digérer dans mon for intérieur qui venait d'être stimulé.

Déjà que les questions habituelles de l'adolescent me préoccupaient, me sentant même plutôt complexé devant elles. Pourtant, une Aile venait de me soulever tout en me laissant une légèreté intérieure et une vaillance doublée d'un axe d'avenir, silencieux certes, mais que je ne sentais pas jusque là.

Oh, je m'étais déjà hasardé, autrement que dans ma « Cathédrale de Nature », d'interpeller directement ce Grand Seigneur représenté en croix dans les églises. Cette statue m'avait touché tôt enfant tant je ressentais une réelle considération en mon cœur, mêlé d'un léger trouble réactionnel devant la souffrance infligée et véhiculée, qui me faisait me tortiller dans la relation. Lui, avait laissé des traces et des mots sur cette Autre Face du Vivant ! Je me souviens Lui avoir donc dit que j'étais son élève et que je gardais la Nature comme église en le priant de m'y enseigner. Je créai ma propre chapelle en moi, choisis les grands Arbres comme piliers et priai dans cette immense Cathédrale universelle qu'est la Forêt. Pour le contenu et les échanges, je verrais bien... J'aspirais à ce qu'Il et Elle soient des guides sur mon chemin.

 

Et voilà que le Souffle m'avait touché, marqué intimement de ses particules de Feu.

 

 

Je m'efforçai pourtant de me concentrer pour obtenir ce diplôme de Technicien agricole, d'établir doucement une première relation respectueuse avec ma meilleure amie, de poursuivre mes sorties d'identification végétale avec mon chien bien-aimé, de réaliser les dernières cabanes dans les bois, de commencer à peindre et tout ça en découvrant les chansons de Jean Ferrat, de Maxime Leforestier... !!

 

Au-delà de ces apparences diffractées, un sceau scellait désormais l'attention de ma conscience dans ma relation au Vivant et ma volonté de le servir, de l'éclairer se dessinait.

Je savais désormais que j'étais guidé et conduit pour cela. ; mon sixième sens se trouvait en éveil.

 

Et bien plus, au-delà des mots et des maux, il me tenait déjà à cœur de participer à la réunification d'une part de la Terre avec le Ciel, du dense et biologique avec le subtil, du visible et de l'invisible, de l'humain avec son Essence… Et plus encore sans doute dans la profondeur de la Vie. »

 

 

 

   Didier Wagner, extrait (renommé « Pont de conscience ») chapitre 5 « L'appel »

 

Manuscrit « Accords de Vie »,

témoignage d'un sensitif

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